ABDUCTION sort un premier album dont la mélancolie égaiera votre automne. Ou pas. Il est difficile de parler de nouveau groupe alors qu’à un membre près la jeune formation black metal est inchangée depuis son premier et unique E.P. « Heights’ Shivers » sorti en 2010. Avec le départ de Guillaume Roquette, le groupe a perdu à la fois son chanteur, son second guitariste, et le chant en anglais. C’est donc désormais seul que Guillaume Fleury empile au sein du quartet les couches d’accords sur « Une Ombre Régit Les Ombres », un album long comme le bras de Mister Fantastic (from the Fantastic Four), soit près d’une heure de musique pour cinq titres, et pour commencer une intro instrumentale – « L’horloge », probable écho à la pièce de piano qui clôturait l’E.P. – qui libère le rythme froid et inexorable du temps qui va s’écouler ensuite au gré des humeurs de ces apprentis maîtres du temps. Le temps que le groupe s’efforce de maîtriser, d’accélérer, de ralentir, bousculer, casser, mais surtout étirer sur des titres oscillant entre 8 et 13 minutes. Même pas peur ! Pour un premier album, ABDUCTION révèle une identité forte. Si l’on peut parler de déferlement de notes, il y a un sens à cette folie furieuse et froide. Un sens presque mathématique, pour ne pas dire systématique, qui voit passages énervés et clairs se succéder sans transitions. Un choix artistique qui par sa répétition pourra heurter la sensibilité de certains. Mais chaque titre se distingue malgré sa longueur et le répétitif schéma de sa structure dont « Napthalia » pose les bases avec son entrée en matière et ses césures brutales, son chant growlé puis clair, et une certaine forme d’emphase jusqu’à son très beau final. « Sainte Chimère », carrée au possible, variée, bénéficie de parties de chant presque liturgiques. Le groupe se livre à plus de variations sur « Les frissons des cimes », un titre plus direct, et concis malgré ses près de 8:30 minutes. « Une ombre régit les ombres » enchaîne des changements de tempo presque groovy, et propose des guitares plus mélodiques et un jeu de batterie plus libéré. Quant à « L’enlèvement d’Automne », le folk y côtoie en intro une forme de mélancolie automnale, avant de replonger dans les ruptures brutales tout en conservant ce côté tristounet porté par un chant presque exclusivement clair, pour finalement s’achever dans la douceur de délicieux arpèges. « Abduction » signifierait l’enlèvement de l’âme, et c’est effectivement l’humanité dont on ne trouve pas trace ici. Pour un premier essai, bénéficiant d’une production très pure et carrée courtesy of Déhà, ABDUCTION livre un pavé noir, violent, qu’aucun trait de lumière ne vient transpercer. Ce n’est pas l’automne, c’est l’hiver, tout ici est froid, gelé, cristallin comme la glace. Même les ruptures plus calmes, régulières et abruptes, qui balisent chacun des titres sont mortellement frigorifiques. Le groupe chante en français, et François Blanc (ANGELLORE) réussit la difficile tâche de conférer dans son chant aux textes élaborés avec précision et style la froideur qui sied à cet ensemble déshumanisé. Quelques intonations incantatoires rappelant les chants liturgiques, voilà la faible étincelle qui vient briller dans cette œuvre profondément noire. Nous n’aurions pas rechigné à entendre quelques solos, mais le groupe a fait le choix de multiplier les couches de guitares et de chant, sans faire ressortir l’une plus qu’une autre. Ainsi une esquisse de solo sur « L’enlèvement d’Automne » restera au niveau des riffs qui l’enrobent et l’absorbent. Le groupe se nourrit de la confrontation des forces qu’il oppose. Ainsi, sa volonté de présenter un bel objet organique (tout est fait à la main sur cet album : reproduction des textes, dessins, pochette…) se heurte à la froideur du look sinistrement inquiétant, mystérieux et déshumanisé de ses membres. Ce premier album très personnel, impressionnant d’identité et d’assurance, porte en lui quelques défauts de jeunesse mais aussi et surtout les germes d’une maturité qui ne demande qu’à s’exprimer. La marge de progression, et le talent, sont là. L’écriture de cet album ayant déjà cinq ans, gageons qu’ABDUCTION reviendra vite nous surprendre. Un album à écouter l’automne, sur les berges d’un lac drapé d’une brume naissante, l’onde et le temps comme figés, les pieds couverts d’un linceul de feuilles mortes, agglutinées, inanimées…seul parmi les ombres.
ABDUCTION
Une ombre régit les ombres
Finisterian Dead End
Sorti le 28 octobre 2016