Au plaisir de la découverte de chaque nouvel album d’AUDREY HORNE s’ajoute celui de s’entretenir avec son volubile frontman, Toschie. Alors que sort Devil’s Bell, le septième album studio des norvégiens, lequel annonce un tonitruant retour aux fondamentaux hard-rock, nous avons à nouveau décroché la ligne directe avec le chanteur-tatoueur le plus passionné du milieu, celui auquel jamais ne nous viendrait l’idée de demander si le rock est mort !
Toschie, la dernière fois que nous nous sommes parlés, c’était pendant le confinement, tu venais le jour-même de t’acheter du matériel pour enregistrer chez toi, et tu m’avais dit qu’ainsi le nouvel album de AUDREY HORNE sortirait plus vite. Ca fait quand même deux années !
Oui c’est vrai ! Mais le confinement a un peu compliqué les choses. On a dû changer radicalement notre façon de procéder parce qu’on voulait absolument écrire un album mais qu’on ignorait combien de temps dureraient les restrictions. Pour nos premiers albums on écrivait chacun de notre côté. Nos guitaristes, Arve et Thomas, composaient la musique chez eux puis m’envoyaient ensuite les fichiers…. en fait au début on gravait des cd mais ça c’était avant ! (rires)… j’écrivais ensuite les lignes mélodiques, les paroles,… puis on se réunissait pour enregistrer chaque morceau, un par un. A partir de Youngblood (2013) on a changé notre façon de procéder pour écrire ensemble dans notre studio de répétitions et enregistrer ensuite nos albums de la manière la plus live possible. Mais quand on a commencé à travailler sur ce nouvel album et que la pandémie nous est tombée dessus, on a vite compris que ce serait compliqué de se réunir. On s’est dit qu’on composerait à nouveau chacun chez soi et qu’on s’enverrait nos fichiers. Au début ça a été dur, mais chaque album est difficile au départ. C’est comme vouloir faire à manger sans avoir tous les ingrédients. Il faut faire l’inventaire, le tri… On a commencé à écrire des morceaux qui n’étaient pas vraiment bons. Et puis on a trouvé notre rythme, et on s’est dit qu’on pourrait peut-être les enregistrer un par un finalement, parce qu’on n’avait pas besoin d’être tous ensemble en studio au même moment. Ce n’était pas vraiment une façon idéale d’enregistrer, mais de manière assez surprenante ça n’a pas mal fonctionné. Je ne dis pas qu’on refera ainsi à l’avenir, mais compte tenu des circonstances, ce fut peut-être la meilleure façon d’enregistrer cet album. On n’avait pas envie d’y passer un an, ce n’est pas notre façon de faire, on ne veut pas trop réfléchir. Je pense que le résultat est là, et honnêtement qu’il s’agit d’un de nos meilleurs albums depuis longtemps. Avant de commencer à écrire, on se réunit toujours pour discuter de l’album qu’on veut faire. et le résultat est presque toujours à des kilomètres de ce qu’on avait prévu (rires), mais pas cette fois. On voulait surtout un album un peu plus heavy, plus hard-rock, moins focalisé sur les titres plus lents,… Quand on a commencé à y réfléchir, notre guitariste Thomas a dit qu’il faudrait que ce soit notre 1987 (Whitesnake) dans le sens où cet album serait moins orienté blues. Je pense qu’on a réussi à atteindre ce but en l’écoutant aujourd’hui. C’est un vrai album de hard rock. Sur Blackout (2018) on avait des titres plus pop 80, d’autres plus lents… Cette fois, on voulait un album plus hard, car à chaque nouvel album on ne joue sur scène que les titres les plus up-tempo. Parce que ce sont les plus funs à jouer en fait.
Vos trois albums précédents avaient un fort vernis THIN LIZZY sur de nombreux titres. En découvrant DEVIL’S BELL, je me suis dit « Wow, finito Thin Lizzy », mais aussitôt « Wow ! Maiden ! » (rires). Pourtant en l’écoutant encore et encore, je suis arrivé à la conclusion que c’est bien du pur AUDREY HORNE, comme d’habitude, mais avec un costume différent. Plus proche que jamais finalement de votre troisième album.
Absolument !
Pour revenir à Maiden, il y a sur ce nouvel album un titre instrumental « Return to Grave Valley » qui ne peut pas ne pas faire penser à « Genghis Khan » ou « The Ides of March » issus de l’album Killers de Maiden, mais il est un peu l’arbre qui cache la forêt, ou plutôt qui donne l’impression que la forêt qu’il cache est maidenesque, ce qui est faux.
Franchement, je suis entièrement d’accord avec toi. Il y a forcément une vibe Maiden car parmi ce qui définit notre musique, il y a le jeu de guitare d’Arve et de Thomas. Beaucoup de groupes ont deux guitaristes, mais les plus célèbres pour leurs guitares « jumelles » sont Thin Lizzy et Iron Maiden. Quand on a écrit « Devil’s Bell » on s’est bien sûr dit que ça sonnait beaucoup comme du Maiden, mais pas plus que « This is War » sur BLACKOUT ou « Redemption Blues » sur YOUNGLOOD, et d’autres encore comme « This Ends Here »… Je pense que cela a toujours été en nous, au moins sur les quatre derniers albums. Pendant l’écriture de cet album, Arve et Thomas m’ont appelé pour me dire qu’ils avaient ce titre qui pourrait faire un bon instrumental. Je leur ai dit que si c’était un bon titre c’était une bonne idée, qu’on n’avait jamais fait d’instrumental. Souvent les instrumentaux tendent à être un peu ennuyeux, sauf si tu es musicien. Ils m’ont fait écouter plusieurs extraits. Je ne l’ai découvert en totalité que lorsqu’il a été finalisé, c’est la première fois que je découvrais une chanson d’AUDREY HORNE sur laquelle je n’avais rien fait ! C’était cool, j’avais l’impression d’être en dehors du groupe. J’ai trouvé que c’était un bon titre, et ils m’ont proposé d’ajouter du chant. J’ai refusé, ce n’aurait pas été pertinent car c’est un titre qui change tout le temps de rythme. Je suis d’accord avec toi au sujet de l’arbre qui cache la forêt. En écoutant rapidement l’album, on peut le trouver très Maiden, mais je ne trouve pas qu’il le soit plus que nos précédents. Il tire son inspiration de tout ce que nous aimons, tout ce avec quoi nous avons grandi. Je pense en revanche qu’il est très différent de Blackout qui est peut-être l’album le plus varié que nous ayons enregistré. Devil’s Bell est beaucoup plus recentré. Quand tu es dans un groupe, c’est toujours bien d’explorer de nouveaux sons, de nouvelles directions, mais ici on s’est concentré sur le côté heavy. Quand je l’écoute, je repense à notre troisième album pour de nombreuses raisons. C’est celui qui en est le plus proche. On s’en est rendu compte en le réalisant. En écrivant les paroles du dernier titre, « From Darkness », dont j’adore la dernière partie instrumentale à l’atmosphère très floydienne qui conclut à merveille l’album, j’ai voulu en faire une suite au texte qui accompagne le dernier titre de notre troisième album, « Godspeed »,… pour moi, ce sont les deux parties d’une même histoire. Les morceaux sont très différents musicalement, mais ils sont pour moi empreints de la même mélancolie.
Ce qui est indéniable, c’est que la différence entre Maiden et AUDREY HORNE découle de ta voix qui est l’identité du groupe.
Je suis d’accord, c’est aussi ce qui nous permet de faire ce qu’on fait. Si j’avais un chant plus « lyrique », comme beaucoup de chanteurs de metal, si je chantais de manière plus dramatique, cela nous rapprocherait trop du son de Maiden. On fait quelques emprunts à Maiden, à d’autres groupes aussi, mais mon chant est différent, ainsi que les arrangements, et les mélodies vocales. C’est pour cela que ça passe.
Sur le titre « Breakout », je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Ozzy.
Oui, je sais. Beaucoup m’en parlent, et pour d’autres titres de l’album aussi.
Excuse-moi de t’interrompre, mais je parle bien sûr d’Ozzy Osbourne…. jeune !
(rires) Je pense que c’est tout d’abord dû au fait que je suis un grand fan d’Ozzy et de sa voix, tant en solo qu’avec BLACK SABBATH. Mais je pense que c’est aussi dû au fait que beaucoup de chanteurs de hard-rock posent leur chant sur le rythme. Je pense à AC/DC, ACCEPT, MOTLEY CRUE,… pffff… Tu sais, en tant que chanteur, tu utilises les outils que tu as. Je n’ai pas ceux qui me permettraient de chanter à la Maiden, je n’ai pas l’ampleur de Dickinson, ni de Ronnie James Dio, ni Ian Gillan,… Je n’ai pas cette puissance dans mon chant. Alors je me focalise sur les mélodies. J’adore les mélodies, j’adore les BEATLES par exemple, et je pense qu’Ozzy Osbourne est ce genre de chanteur qui a toujours posé son chant sur la mélodie. Il y a toujours eu beaucoup de rythme dans la musique de BLACK SABBATH et Ozzy a toujours comme « flotté » au-dessus. J’aime ça, laisser mon chant être porté par le rythme, et opposer une sorte de légèreté au côté heavy de la musique. Je pense que c’est la raison pour laquelle on trouve ce côté Osbournien à mon chant, car j’utilise les mêmes outils.
Cet album est-il aussi plus heavy parce que vous n’avez pas pu jouer live pendant de nombreux mois ?
Non, je ne pense pas. C’est probablement plus en réponse à l’album précédent, Blackout, et la méthode de travail que nous nous étions alors imposés. Dès qu’une nouvelle idée nous venait en tête on laissait de côté le titre sur lequel on était en train de travailler, ce qui fait qu’au bout du compte on s’est trouvés dans un chaos total ! On ne savait plus quel passage se trouvait dans quelle chanson ! Je crois me souvenir qu’on avait 70 ou 80 idées sur la table ! Cette fois-ci, on a d’emblée décidé de ne pas écrire plus de vingt titres, de les travailler aussi dur que possible pour les rendre totalement efficaces. Les premières chansons qu’on a écrites se sont révélées plutôt heavy, et ça nous a plu. Il faut savoir que notre bassiste aime toutes sortes de styles musicaux, et trouve son inspiration dans des musiques plus douces, comme le disco ou la soul. J’écoute aussi beaucoup de styles différents. Mais Thomas et Arve, surtout Thomas d’ailleurs, sont beaucoup plus heavy metal. Ils écrivent beaucoup seuls sans être interrompus par le reste du groupe. Ils sont responsables de l’ambiance de ce nouvel album. J’aime ça ! Je souhaitais ce retour heavy. Tu sais ce qu’on dit des requins, « s’ils arrêtent de nager ils meurent ! ». Si on tombe dans une sorte de routine, on se lasse rapidement. Après nos trois premiers albums, on avait besoin d’évoluer et ça a donné Youngblood. Après les trois derniers albums, je pense que nous sommes arrivés à un point où il nous fallait à nouveau tenter autre chose. Pas pour décontenancer les fans du groupe, mais pour nous. Le seul point sur lequel nous étions d’accord, c’était d’être plus heavy. Et puis aussi, on a vieilli, on sort moins, il faut bien libérer cette énergie quelque part ! (rires)
Blackout a donc marqué la fin du cycle commencé avec Youngblood. Penses-tu être allé trop longtemps dans cette direction ? Deux albums n’auraient-ils pas suffi ?
Non, tu sais on est très fiers de ces albums et heureux du virage pris avec Youngblood, qui a permis d’apporter plus de légèreté dans notre musique. Cela nous a permis de faire de la musique ensemble de manière plus détendue. Mais on a conscience aussi qu’après avoir enchaîné trois albums dans une direction similaire, il était temps et surtout nécessaire d’explorer de nouveaux terrains. Alors oui, plus heavy, mais on n’est pas devenus SLAYER. Mais je pense que le style nous convient bien. Maintenant, on verra si ça plait. Je me souviens quand on enregistrait Youngblood, notre ingénieur du son nous disait « vous êtes sûrs de vouloir faire ça ? ». On lui répondait « Bien sûr ! C’est un super album ! ». Il était d’accord sur ce point, mais il ajoutait « commercialement, c’est surtout un putain de suicide ! (rires) C’est trop old-school pour vendre ! ». On le comprenait, mais c’est ce qu’on avait envie de faire. De manière assez ironique, c’est un de nos albums qui s’est le plus vendu. Espérons que ce soit le cas cette fois encore, mais on ne peut pas savoir… S’il fait un bide, tant pis. On n’écrit pas un album pour vendre, juste pour se faire plaisir. On n’a qu’une vie. Quand on sera trop vieux pour faire de la musique, on veut pouvoir regarder en arrière et être fiers de ce qu’on a fait. On voudrait bien faire des albums qui nous survivent, mais ça ne dépend pas de nous.
Justement, est-ce parce que vous vieillissez que vous écrivez des titres plus rapides, comme pour vous stimuler quand vous serez sur scène ?
(Rires) Non, non ! Je pense que si tu dois changer ta musique en vieillissant, comme certains groupes le font, il vaut mieux écrire des trucs plus lents, parce que si tu dois les ralentir sur scène, ce ne sera pas bien. On vient d’écrire un album qu’on est capable de jouer sur scène. Mais si on en reparle dans dix ans, on le jouera peut-être moins vite (rires) !
Tiens d’ailleurs, as-tu écouté le dernier Maiden, Senjutsu ?
Oui. (silence) La production m’insupporte totalement. Certains titres sonnent comme de mauvaises démos. Je ne sais plus si c’est sur le deuxième ou le troisième titre, mais le chant est mixé tellement bas qu’on n’entend pas ce que chante Dickinson ! Ca reste malgré tout un bon album à mon sens. Ce que j’aime chez Maiden, c’est qu’ils se renouvellent toujours malgré le « grand âge » du groupe. Ils ne cherchent pas la facilité. Beaucoup d’autres groupes dont les membres approchent ou dépassent les 70 ans continuent à sortir des albums dont je me dis : « Oui, ok, je l’ai écouté une fois mais je vais écouter un de leurs anciens albums maintenant ! ». Et puis parfois ils arrivent toutefois à sortir un bon album. Je pense par exemple à SCORPIONS, dont le nouvel album me rappelle le groupe dont j’étais fan il y a bien longtemps. Je n’aime pas le premier titre, mais sur le reste de l’album il y a de putain de bonnes chansons ! Ca m’impressionne toujours quand un groupe qui est là depuis si longtemps sort un album sur lequel on entend le plaisir qu’ils ont pris à jouer.
Hum… Pour ma part, je souffre en l’écoutant.
C’est vrai (rires) ?
Oui.
Je l’aime beaucoup, mais c’est aussi parce que j’aime beaucoup les « vieux » SCORPIONS ! Je ne les ai pas vus sur scène depuis des années, mais comme je t’ai dit je n’aime pas le premier titre, il y aussi des morceaux embarrassants, mais il y en a d’autres que je trouve très bons.
Puisqu’on parle du temps qui passe, il me semble que 2022 marque le vingtième anniversaire d’AUDREY HORNE. Que retiens-tu de ces vingt ans, si tu dois citer un album, un titre ? Et puis tout d’abord, qu’aviez-vous en tête en créant le groupe ?
Au tout début, AUDREY HORNE était un side-project qui rapidement est devenu notre priorité car après avoir écrit nos premiers titres et joué 4 ou 5 concerts dans des clubs sur Bergen, on a décroché un contrat avec une maison de disques. Ca nous est un peu monté à la tête, et au moment de notre premier album on était persuadés que c’était le début de la gloire et la célébrité ! C’est vite retombé, des membres du groupe sont partis, on ne savait pas vraiment que faire… mais on s’est accroché, surtout parce qu’on aimait ce qu’on faisait. Je pense cependant que c’est sur notre troisième album, quand Aspen (basse) nous a rejoint, que l’on a compris que l’on devenait un vrai groupe. C’est pour cela que je trouve que ce troisième album, celui sans nom, est probablement l’un de nos meilleurs. Mais si je devais n’en garder qu’un, je choisirais cependant Youngblood car tout a changé pour et dans le groupe avec cet album, surtout l’esprit qui règne entre nous. On est passé du statut de groupe qui faisait des albums à celui de groupe de scène reconnu. On a commencé à ne plus se soucier de tout le côté business pour ne chercher qu’à prendre du plaisir. Quant à ne choisir qu’un titre….. je ne sais pas…. je pense… c’est trop dur…. (long silence)… probablement un titre de l’album sans nom…. je pense qu’au niveau de l’écriture c’est un formidable album. Il comporte d’excellentes chansons, et on commençait à explorer un côté plus progressif. Personnellement, j’ai toujours adoré le titre « Firehose », son ambiance, son groove,… J’ai toujours pris un énorme plaisir à la chanter live. C’est une de mes préférées sur scène.
Une dernière question concernant Devil’s Bell : c’est toi qui a réalisé cette pochette tempétueuse ?
Oui, c’est moi. Ce n’était pas l’idée de départ, on l’avait confiée à quelqu’un d’autre mais le résultat a suscité des débats au sein du groupe. Pour ma part, je l’aimais. Mais au final, le groupe et le label m’ont demandé de bien vouloir m’en charger. J’ai fait ce dessin car le souci qu’avaient certains avec le premier projet est qu’il ne reflétait pas le titre de l’album. J’ai fini pas faire énormément de dessins pour cet album. Dont certains ne seront probablement pas utilisés, mais la musique et les paroles m’ont beaucoup inspiré. J’aime cette pochette. Elle est cartoony, mais c’est ce que j’aime, les autres ne sont pas toujours d’accord avec mes choix et mon style, mais cette fois-ci ils l’étaient !
Une très bonne interview, comme d’habitude, on sent cette complicité et sympathie immédiate que tu arrives à installer avec chaque interlocuteur et cela devient très plaisant à lire.
Un bel exercice, mais surtout quand il y a ce degré d’échange.
👌🙏👏
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Merci Marc !
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